Christel Bony est la fondatrice de Sextech for Good. Une association collective qui réunit d’autres startups travaillant sur le sujet de la sexualité et du plaisir féminin. Une bataille et un engagement quotidien, pour un sujet de société, ponctués de challenges intraseques au monde de l’innovation et des startups. Un rebond qui a servi de tremplin à Christelle et d’exemple pour d’autres.
1- Christel Bony, dites-moi tout, qu’est-ce que Sextech for Good ?
Sextech for Good est à la fois une agence et un collectif qui s’engage pour le développement de produits innovants, dans tous les domaines de la sexualité. On parle ici de l’utilisation de nouvelles technologies appliquées à tous les domaines de la sexualité : au plaisir, à l’éducation, à la santé, le bien-être des personnes, à la sécurité et aux personnes en situation de handicap.
Pourquoi la sexualité ?
C’est un sujet lié à mon rebond. En 2014, j’avais créé une startup qui se voulait innovante. On travaillait sur un concept original de lecture sensorielle : c’est-à-dire, à ajouter des sensations à des contenus dématérialisés comme les vidéos, les books etc. L’idée était de créer des expériences de lecture où le corps fait partie de l’histoire.
Ce que nous avions développé à l’époque était lié à la littérature érotique. Une littérature écrite pour donner des sensations. Notre application était connectée à un sex toy, ce qui permettait aux femmes de vivre de nouvelles expériences de lecture et de plaisir. C’était une application faite par une femme, pour les femmes (sourire) !
De fil en aiguille, il s’est avéré que ce parcours était plus difficile que ce que je n’avais imaginé. J’avais complètement sous-estimé les freins liés au sujet, à l’ego masculin et à mon genre. On ne va pas se mentir, j’étais une femme dans la Tech, non ingénieure, avec un problème de légitimité. Et en plus, je parlais de sexualité et de plaisir féminin. Deux sujets tabous en France, cumulés aux problématiques startups.
Quand la société a été fermée en 2018, je me suis dit que j’avais trop encaissé pour arrêter-là. Je me suis donc engagée auprès des Rebondisseurs Francais (je voulais rester fière du parcours que j’avais fait (sourire) !) pour aider d’autres à réussir. Et j’ai continué à m’engager sur le sujet de la sexualité et du plaisir féminin. J’ai continué à réfléchir sur ce sujet et sur notre société.
2- Selon vous justement, que faudrait-il changer lorsque l’on a un cas d’échec chez un entrepreneur ?
Je pense que c’est toute une chaine à changer. Le contexte est effectivement très important. J’avais la chance, à l’époque, d’être incubée et d’avoir autour de moi des gens qui étaient dans l’entrepreneuriat. Mon entourage professionnel connaissait les risques du métier. Ce sont eux qui m’on apporté une autre vision de l’échec : l’expérience. Ce sont eux qui m’ont permis de trouver du sens à cet échec. Du coup, j’ai voulu capitaliser mes connaissances et j’ai décidé de reprendre des études en sexothérapie.
Aujourd’hui, j’accompagne beaucoup de femmes sur la question du sexpowerment. Une compétence très liée à l’entrepreneuriat et au plafond de verre. Je me dis au final que l’échec, même douloureux fut-il, reste un échec que si l’on n’en fait rien. Pour moi, ça était un moteur pour grandir, un réel apprentissage. C’est en somme, une leçon de vie. Et pour que ça le soit, l’entourage est vraiment important.
Donc plus de soutien et de compréhension au final ?
De soutien certes, et plus de visibilité aussi. C’est ce que vous faites dans les médias, parler aux gens qui se plantent tout autant qu’à ceux qui réussissent. Pareil pour l’éducation puisque je suis intervenue dans le master Entrepreneuriat de Dauphine. Là aussi, les jeunes sont contents de voir des entrepreneurs qui n’ont pas fait forcement une école de commerce ou qui ne viennent pas d’un terreau familial d’entrepreneurs. Ça montre que c’est possible ! C’est une valeur qui devrait être enseignée : l’échec fait partie de notre apprentissage.
3- C’est quand même drôle d’avoir créé une autre entreprise, dans le même secteur d’activité ?
Au départ, mon projet était beaucoup plus vaste que le sujet de la sexualité. Pour moi, c’était une première ligne de business. Mais au final, ce sont tous les problèmes et les écueils que j’ai rencontrée qui m’ont rendue très féministe et m’ont fait m’interroger sur les questions de plaisir féminin, de genre… J’ai aussi deux filles (sourire). Je me suis forcément posée la question de notre société. J’avais envie qu’elles soient encore plus libres que moi. J’avais envie que leur genre ne soit pas un frein.
Aujourd’hui, je ne me verrai pas recréer une entreprise dans laquelle je ne trouverai pas de sens. Quand on a capitalise sur un projet et que l’on peut transmettre suite à un échec, il faut le faire. J’ai préféré capitaliser et rester sur ce sujet plutôt que de recommencer ailleurs, de zéro.
4- Cette capitalisation, comment se traduit-elle face a votre engagement ?
Grâce à Sextech for Good on fédère plus de 30 start-ups, soit 40 entrepreneurs, qui s’engagent sur des sujets de sexualité et de technologie. Ça fait un bel écosystème (sourire). On peut créer de belles synergies et continuer de s’engager, d’évangéliser sur ces sujets-là.
L’idée est aussi de montrer au grand public que ces startups sont les entreprises de demain, qu’il faut investir dedans. Car là aussi, le secteur de la sexualité en France a du mal à être financé, alors même qu’il y a des levées de fonds Outre-Atlantique qui se comptent en millions de dollars. Notamment sur des sujets de santé comme la ménopause. En France, on avance mais difficilement. On tient notre motivation dans la satisfaction de faire bouger les lignes et de s’engager sur des sujets de société.
Quelles sont les problématiques sociétales que l’on peut encore rencontrer dans ce secteur ? Est-ce qu’il y a encore des tabous, des non-dits ?
Le Sextech est, je crois, le secteur de l’innovation le plus féministe (rire). C’est là, en ratio je pense, où il y a le plus de femmes entrepreneures. Ça s’explique notamment, grâce au coup d’accélérateur post #Metoo. Les femmes ne veulent plus attendre que ce soit les hommes qui créaient ces services. Elles veulent le faire elles-mêmes.
De fait, nous avons dans notre collectif des entreprises qui oeuvrent pour la santé, la sexualité, qui démocratisent la parole de femmes et des patientes. Le seul problème est que nous sommes sur des secteurs qui cumulent les écueils. Les levées de fonds en premier : seules 1% vont aux entreprises créées uniquement par les femmes.
C’est donc un billet de genre car, nous ne sommes pas nombreuses. Par ailleurs, il n’y a pas beaucoup de femmes investisseuses non plus. Le jour où nous aurons la mixité, cela nous facilitera aussi la vie. Pourtant au-delà de la visée sociétale de nos startups, le secteur est à fort potentiel économique… Ne serait-ce pas plus intéressant d’investir dans une startup qui traite de l’endométriose plutôt que de continuer à laisser cette maladie nous couter des frais annexes en santé ? Il faudrait vraiment que nous changions de paradigme.
Donc quand vous parlez de Sextech, vous ne parlez pas QUE de plaisir féminin-masculin. Au final, vous englobez tous les sujets de la sexologie ?
Oui, ce sont vraiment tous les sujets qui sont liés à la sexualité qui sont notre composante. Et il y a un gros travail à faire de déconstruction ! Par exemple, au niveau de l’éducation des jeunes à la sexualité et de leur vision très anxiogène du sexe, de la performance ou de l’injonction au corps. C’est aussi l’occasion de dire aux hommes qu’ils n’ont pas besoin d’être déconnectés de leurs émotions. En vérité, c’est une réelle prise de conscience globale. On a besoin de lobbying.
Malheureusement nous aimerions travailler cela sur les réseaux sociaux, pour prévenir et apporter des solutions aux problématiques que nous connaissons. Le fait est que les acteurs de la SexTech en sont bannis. C’est là aussi, où nous avons un problème et un vrai challenge. Sans parler du reste : les banques, les assurances, les agences de communication etc. .
5- En tant que porte-parole de cet écosystème, si vous aviez un conseil à donner à des femmes qui se lancent dans la Tech, dans des secteurs de niche, que leur donneriez -vous ?
D’être convaincues : dans le secteur de la Sextech, on sait que l’on va prendre des coups. En tout cas, plus que dans certains autres secteurs. Il y a une prise de risque énorme et un regard de l’autre très marqué par le jugement. C’est pour ça que d’être convaincue est important. Cela aide. Le côté militant permet d’accentuer les valeurs et rend l’aventure plus simple à supporter. Si on n’est pas convaincue, on se fait écraser.
À l’inverse lorsque l’on est convaincue, si l’on arrive à convaincre ne serait-ce qu’une seule personne, cela nous permet d’avancer petit pas par petit pas. Oser et réussir à être libre, c’est s’autoriser à avant tout.
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