Hatice Rubenthaler Yildirim est une éducatrice spécialisée, dans le Bas-Rhin. Elle exerce sa vocation avec panache et beaucoup d’altruisme. Aujourd’hui éducatrice, animatrice, formatrice et médiatrice, elle regrette la rareté de ce métier en libéral. Une complémentarité au métier de salarié, souvent mis à mal par le système.
1- Hatice tu es éducatrice spécialisée en libéral, un métier encore mal connu ou encore trop cantonné à son image sociale. Est-ce que tu peux m’en dire plus sur tes actions ?
Effectivement, je suis éducatrice spécialisée en libéral depuis juin 2018. J’interviens dans le champ de l’enfance et de l’adolescence. Je m’occupe principalement d’enfants en situation de handicap, beaucoup dans l’autisme, et d’enfants/adolescents qui ont des problématiques d’ordre relationnelles ou existentielles.
Ainsi, j’assure 4 fonctions :
- éducatrice spécialisée libérale, à domicile. Là pour le coup, j’accompagne des enfants ou des familles. Soit les familles me contactent directement, soit ce sont mes prestataires ou mes partenaires associatifs qui le font. Ces derniers interviennent financièrement pour des familles avec peu de moyens.
- formatrice à l’école des travailleurs sociaux de Strasbourg. J’y enseigne et j’accompagne les étudiants.
- animatrice de groupes de parole, que je constitue en fonction des demandes. Ce sont des temps de rencontre autour d’un café, en groupe parents/enfants ou bien, parents seulement. Je les fais par exemple, pour des ateliers Montessori ou sur le thème des violences éducatives ordinaires.
- médiatrice par l’art-thérapie. Ici, je me rapproche de problématiques lourdes. Révélatrices de traumas, que l’on va travailler par l’art : avec la peinture, le dessin, la musique…
2- Tu as donc plusieurs casquettes : est-ce que le fait d’être pluridisciplinaires est une force dans ton métier ?
Absolument (sourire) ! Dans le sens où ces casquettes vont s’imbriquer les unes aux autres. Personnellement je me suis rendue compte que, lorsque j’accompagnais les familles, j’assumais déjà ces différentes fonctions. J’utilise beaucoup le jeu, l’art et « le « pairing » (principe de conditionnement) pour rentrer en relation avec les enfants en situation de handicap. Tisser du lien, dans mon métier, c’est très important pour réussir son accompagnement.
Pour moi, arriver dans une famille avec juste la casquette d’éducatrice implique automatiquement une distance. Et cette distance imposée est très lourde. Le fait de créer du lien en passant par des médias plus funs, ça allège un peu plus les relations. Ça rend plus accessible et plus souple dans la manière de faire.
D’ailleurs, cette proximité se retrouve aussi dans ma façon d’enseigner. Je crée du lien avec les étudiants, nos futurs éducateurs spécialisés. C’est une façon pour moi de leur montrer combien l’humain est la clé d’un accompagnement réussi. C’est très important.
Cette pluridisciplinarité se retrouve chez tous les éducateurs spécialisés ?
C’est tout à chacun. Pour moi, un éducateur spécialisé, qu’il soit en libéral ou salarié, a besoin d’une boîte à outils pour travailler. Il aura alors, différentes façons d’accompagner et de rentrer en relation avec le public. Et des façons qui lui seront propres. Mais pour y arriver, c’est à lui de monter cette boîte à outils et de s’outiller. C’est pour ça que se nourrir de connaissances tout au long de notre carrière devrait être une obligation.
Pour ma part, le côté libéral de mon métier m’a permis de ne pas me cantonner au métier d’éducatrice spécialisée. J’ai une trousse à outils fournis qui me permet aujourd’hui, de développer certaines actions plus que d’autres, selon les familles.
Mais cela ne regarde que moi. Je suis plutôt quelqu’un d’autodidacte et de curieux. J’aime alimenter mes compétences professionnelles… D’ailleurs, elles me le rendent bien car elles alimentent mon personnel (sourire). Ce qui compte le plus, avant tout, c’est la relation. On travaille avant tout avec qui on est. C’est là que la formation ou la boîte à outils est essentielle : c’est pour mieux accompagner les personnes.
- Au final, n’est-ce pas une façon de remettre l’humain au cœur de ton métier ?
Oui, clairement (sourire) ! Et à plusieurs niveaux en plus.
Au niveau des éducateurs, eux-mêmes. Ils ont du mal aujourd’hui, aux vues des problématiques terrains, à mettre du sens dans ce qu’ils font. À garder le sens même du métier : l’humain. Au niveau du secteur d’activité du social et médico-social, le manque de moyens financiers est criant. Nous sommes actuellement dans des restrictions budgétaires importantes. On nous demande plus, avec moins de moyens.
C’est pour ça que le libéral m’a permis, à la fois d’avoir une porte de sortie, mais aussi d’avoir une porte d’entrée vers plus de relations humaines.
- Donc peut-on dire que le libéral est une forme d’expression du mal-être de ton secteur d’activité ?
Oui et non. Si le secteur fonctionnait bien, on n’aurait moins recours au libéral. Quand bien même nous soyons rares en France. Nous faisons face aussi, à une autre problématique qui est celle de l’ignorance de l’existence du métier en libéral. Pourtant, le libéral n’est que le reflet de la société moderne. Il y a bien des libéraux et des hospitaliers dans d’autres secteurs : la médecine, le médico-social, la psychologie, l’orthophonie etc… Mais, dès que c’est un travailleur social, la question de sa légitimité en libéral se pose. C’est dommage ! Ces deux fonctions sont complémentaires, pas antithétiques.
Et l’essence même de ton métier ?
Oui car, c’est en me mettant en libéral que j’ai pu remettre du sens dans ma profession (sourire).
Sans budget, vous ne pouvez pas mettre de l’humain dans vos interventions.
Être en libéral m’a permis de redéfinir mes limites, de mieux cerner les problématiques que je voulais travailler et celles que je ne souhaitais plus travailler. Je me suis beaucoup questionnée sur mes capacités. Ce qui est très important dans mon métier. Si l’on veut bien accompagner, il faut d’abord être au clair avec soi-même.
Et puis, l’avantage d’être à son compte est que l’on peut aussi jouer sur les budgets, pour accompagner toujours plus loin les familles. Sans avoir cette pression du « résultat » qui, à la base, n’existe pas dans notre métier. Travailler sur des blessures, des problématiques demande du temps. Les familles doivent avoir la possibilité de faire leur chemin, à leur vitesse. Cette question du résultat, malheureusement, se voit de plus en plus avec les contraintes que l’on connaît.
5- Justement si tu avais un conseil à donner à des femmes qui, comme toi, sont dans des secteurs peu connus en libéral, qu’est-ce que tu leur dirais ?
De ne pas avoir peur de se lancer : dans la vie, il n’y a pas d’avancement possible, sans une part de peur. La difficulté réside dans le fait que cette peur ne devienne pas un handicap. Je leur dirai donc, de tenter l’aventure, même si celle-ci est compliquée. Peut-être même plus pour les femmes… mais d’oser se lancer. En vérité, le plus gros de l’apprentissage se fait sur le terrain. Et puis, ce serait dommage de le regretter toute sa vie. Je trouve qu’il n’y a rien de pire que ça !