Béatrice Lorant est directrice adjointe de la rédaction de Rose Mag. Touchée indirectement par la maladie, elle oeuvre au côté de Céline Lis-Raoux, pour donner du sens à la vie des femmes malades du cancer. Parties d’une création éditoriale, les femmes de RoseUp se battent aujourd’hui pour une cause : faire exister les malades aux yeux de tous. Témoignage.
1 – Céline et toi, vous vous êtes lancées dans l’aventure de la création d’association. Comment vous est venue l’idée de Rose magazine et nouvellement, de RoseUp ?
Par la maladie. Céline a décidé de créer un magazine féminin atypique, spécifiquement destiné aux femmes malades du cancer. Elle a eu cette idée, parce qu’elle-même a été touchée par le cancer en 2008. Elle s’est rendue compte que toutes les informations médicales liées aux traitements et à la maladie, lui étaient données par ses médecins mais que toutes les informations liées à la vie avec la maladie, n’avaient pas d’interlocuteur. Céline a donc cherché par elle-même. Elle a trouvé ces questions sur des forums ou sur des réseaux sociaux – car les femmes malades sont très actives contrairement aux hommes malades -. Elle s’est donc dit qu’il y avait de la demande, et en tant que journaliste, s’est décidée à créer un magazine spécialisé.
Elle m’a demandé ensuite si je voulais prendre part à l’aventure. Notamment parce que j’avais déjà monté plusieurs magazines, des numéros 0. J’ai tout d’abord refusé car le cancer a emporté ma sœur en 2003. Traiter ce sujet me rebutait : j’avais peur de me replonger dans la douleur, la souffrance.
2- Alors justement, n’est-ce pas difficile de travailler sur la thématique de la maladie, quand on a été touché de près ou de loin ?
Ce serait faux de dire que c’est facile ! Ça l’est plus aujourd’hui, que ça ne l’a été au départ. Céline et moi, avons parfois été plongées dans la détresse. Quand on n’est pas armé, qu’on n’est pas médecin, ni psychologue, c’est vrai que c’est parfois très douloureux ! Ça l’est moins aujourd’hui … sans doute parce que l’on a appris à mettre de la distance et qu’on à la certitude de faire œuvre utile, qu’on est moins dans la maladie que dans la vie avec la maladie. Dans vivre avec la maladie d’ailleurs, il y a le mot « vie ». C’est vraiment ce que l’on a voulu faire de ce magazine, qui colore aujourd’hui toutes nos actions. On est dans la vie, dans les réalisations de projets, dans l’aide au quotidien : la vie avec soi-même, avec ses enfants, la reprise du travail ou le maintien du travail, le sport… on essaie, à chaque fois, de donner la parole à des femmes, qui elles aussi ont valeur d’exemple. Non pas des « sur-femmes » mais des femmes lambda, malades du cancer et qui montrent aux autres qu’elles ne sont pas toutes seules dans ce combat. Ce magazine a une fonction multiple : identitaire, miroir, d’informations, de re-narcissisation, d’empowerment… Toutes les femmes d’ailleurs, en couverture de magazine sont des femmes malades !
On aide ces femmes à prendre conscience de leurs valeurs et à sortir la tête haute !
Et c’est d’ailleurs grâce à ça, qu’on a pris conscience qu’on ne pouvait pas rester qu’un magazine. La communauté existe, elle est là. Elle nous « oblige » d’une certaine manière à porter différents problèmes à la connaissance de la société civile et des pouvoirs publics.
3- Finalement, au-delà de la création éditoriale à proprement parler, vous vous battez pour une cause ?
Oui, c’est tout à fait ça ! On a avancé en avançant. Au départ, on a créé le magazine pour leur donner des idées, de l’information. Au final, on s’est aperçues qu’il y avait vraiment une cause : qu’il fallait « dé-tabouiser » la maladie; que les malades du cancer devaient exister aux yeux de tous; qu’il fallait minimiser cette honte d’être malade par la répétition constante de la société sur nos modes de vie, « principaux » responsables de nos cancers. C’est là, qu’on s’est dit qu’il y avait une cause à défendre ! Il fallait qu’on trouve des solutions, qu’on aide les malades à se faire entendre et que l’Etat mette en place de nouvelles mesures pour ces personnes.
Aujourd’hui, on a une certaine notoriété ! Il faut donc que l’on fasse bouger les choses. Il faut devenir un vrai lobby.
Comment gérez-vous la difficulté de ce combat au quotidien ?
On est plus nombreuse qu’au départ : certaines femmes, qui ont intégré l’association, sont des spécialistes. Isabelle Huet-Dusollier, directrice adjointe de RoseUp, était attachée parlementaire au Sénat pendant très longtemps par exemple. Ce qui facilite le dialogue avec les autorités.
Aujourd’hui sur certains dossiers, nous sommes directement sollicitées. Ce qui montre une certaine écoute aussi de la part des pouvoirs publics, et qui indirectement fait de nous une « référence ». On est reconnues comme un organisme de défense mais aussi de propositions. C’est nouveau mais satisfaisant !
4 – Aujourd’hui votre association a pris de l’ampleur, vous allez même ouvrir une maison rose sur Paris, très prochainement. Est-ce que vous traversez encore des périodes de doutes ?
Non ! S’il y a bien quelque chose qui nous caractérise, c’est que nous n’avons pas de doute sur notre combat. En revanche d’un point de vue organisationnel, nous avons avancé sans forcément nous structurer. On a fait en faisant ! Bien sûr, on n’a peut-être pas été optimales dans notre organisation mais on se structure de manière progressive et artisanale. S’il nous manque une compétence, on la trouve. Comme l’on est une association, s’il nous faut un besoin, nous devons trouver un mode de financement, un partenaire. C’est ce que nous avons fait pour la maison rose de Bordeaux, qui à amené à la création de la maison rose de Paris, grâce à son succès.
Beaucoup de nos mécènes sont des femmes ! Elles s’impliquent énormément.
5- Si vous aviez un conseil à donner à nos lectrices, désireuses de se faire entendre ou de monter une association, quel serait-il ?
D’être tenace : ne pas se décourager car c’est un boulot de titan ! Il faut avoir la volonté, chevillée au corps, et un esprit d’athlète. Il ne faut pas renoncer, continuer et en permanence se dépasser. C’est un challenge de compétiteurs. Pas forcément vis à vis des autres, mais vis à vis de soi-même. Il faut se dépasser constamment et cultiver son réseau.