Anne Leitzgen : « Être une femme n’est pas un frein, il faut oser ! »

février 5, 2024

Anne Leitzgen est à la tête du Groupe Schmidt, depuis 2006. Une ETI familiale qu’a fondée son grand-père, dans les années 30. Pour elle, que l’on soit dans l’Industrie ou dans un autre secteur, être une femme n’est pas un frein à une carrière. Pour elle, l’audace est une clé de réussite. Témoignage.

1- Anne, comment avez-vous vécu votre prise de fonctions, dans ce milieu encore masculin de l’industrie ?

Je n’ai pas ressenti ce milieu comme particulièrement masculin, dans la mesure où avant moi, c’était ma mère qui était présidente de l’entreprise. Je n’arrivais donc pas, dans un monde complètement masculin. En tout cas, je ne l’ai jamais considéré comme ça. Ça n’a jamais été un sujet. D’ailleurs, on ne m’a jamais fait ressentir que c’était un sujet (sourire) ! Donc, je ne l’ai pas appréhendé sous cet angle-là.

2- Vous avez déclaré lors de notre rencontre, « qu’être une femme est un atout ». En quoi ?

J’ai eu la chance d’avoir des collègues et des collaborateurs pour qui travailler avec une femme, n’est pas un problème. Dans ce contexte, je me suis donc dit qu’être une femme était un atout. Et je le pense vraiment (sourire) ! Du moins, c’est le sentiment que j’ai. En étant une femme, j’ai pu activer des codes et des façons de faire peu attendus qui étaient différents de ceux des hommes. Ce qui a pu être surprenant, vis-à-vis des ceux avec qui je travaillais ! Mais vraiment, j’ai toujours eu le sentiment de ne pas être jugée.

À l’inverse je pense que si j’avais été un homme, on aurait attendu de moi que je réagisse comme tel, avec des prises de décisions plus conventionnelles. Moi, je suis plutôt quelqu’un de peu conventionnelle (sourire) ! Donc effectivement, le fait d’être une femme favorise sans doute, cette acceptation.

Dans votre parcours n’avez-vous jamais connu de déconvenue à ce sujet ? De situation cocasse ?

Je pense qu’on en a toutes eu (rires) ! L’anecdote que j’aime bien utiliser, est vraiment révélatrice. Voire ridicule (rires) !

Cela faisait peu de temps que j’avais repris la tête de l’entreprise. J’avais à peu près 35 ans. Nous sommes partis en Italie pour racheter une entreprise, que l’on n’a finalement pas achetée pour des questions de divergences culturelles. Cette entreprise était dans la région de Venise. Lorsque l’on est arrivés, le patron de cette entreprise – qui avait une soixantaine d’années -, me dit qu’il m’avait réservé une voiture pour que je puisse aller faire du shopping en ville, le temps de parler affaires avec mon Directeur Général. Amalgame (rires) ! Là, je ne savais pas si je devais rire, pleurer ou prendre la fuite ! J’ai trouvé cette situation très cocasse.

Voilà un exemple caricatural de ce que l’on peut vivre parfois, en tant que cheffe d’entreprise. Ce qui était intéressant pour le coup, c’est que je partais avec un avantage. Vu la situation, et donc le peu de considération que ce chef d’entreprise avait pour les femmes, il devait forcément sous-estimer mes capacités de business woman. Par conséquent, être une femme dans ce type de déconvenue, peut être une chance et un atout (sourire) !

Comment gérez-vous ce type de situation lorsqu’elle se présente ? Est-ce qu’il y a une façon d’être à adopter ?

Personnellement, je ne surréagis pas ! Soit je le prends avec humour, en faisant une remarque qui accentue le sujet ; soit, je recadre le débat. Je fais la remarque que c’est avec moi que les échanges vont se faire, tout en restant juste, polie et correcte.

Par chance, je croise peu de situations comme celle-ci aujourd’hui. Du moins, ça fait un certain temps que je n’ai pas eu affaire à des remarques sexistes. Je pense que j’ai eu plus de remarques dans ma carrière professionnelle, liées notamment à mon jeune âge lorsque j’ai repris la direction de l’entreprise, que de situations ridicules comme cette anecdote.

Et ces remarques vis-à-vis de votre âge, vous les avez gérées comment ?

Lorsque j’ai repris l’entreprise, j’avais conscience que j’étais jeune. J’avais donc besoin d’acquérir un maximum d’expériences. Je me sentais parfois, un peu désarmée. J’ai donc essayé de trouver de solutions, pour avoir des accélérateurs d’expérience : des échanges avec des pairs, des groupes de supervision de coach pour des situations managériales qui m’intéressaient, je lisais beaucoup, j’allais à des conférences et des salons… J’ai vraiment fait beaucoup de choses ! Et puis, j’ai surtout décidé de faire des points de contact avec d’autres métiers, d’autres entreprises ou dirigeants. C’était très important !

J’ai voulu aussi, avant d’être dirigeante, faire plusieurs métiers dans l’entreprise. Il me fallait davantage la comprendre et être plus légitime. J’ai vraiment pris ce temps, qui me semblait important. Ne serait-ce que pour l’humilité des personnes qui y travaillent, depuis longtemps. Souvent quand on prend la tête d’une direction, on a envie de faire plein de choses et envie de tout changer. Mais il faut aussi, prendre en compte le travail qui a déjà été fait et les personnes qui sont derrière. Je ne dis pas qu’il ne faut rien changer mais, il faut faire attention à ne pas froisser les personnes qui ont déjà fait des choses extraordinaires dans l’entreprise et s’appuyer surtout, sur leur expérience.

3- À votre avis, pourquoi si peu de femmes osent se diriger dans des secteurs encore masculins ou envisager la direction d’une grande entreprise ?

Dans une entreprise comme la nôtre, on se rend vite compte que certains métiers comptent peu de femmes. Déjà à l’entrée, on a peu de femmes : la maintenance, l’ingénierie etc… . Le secteur industriel est assez lésé sur ce sujet. Je pense honnêtement, qu’il y a encore des images d’Épinal autour de ces métiers et de ce secteur. Alors que c’est un milieu très intéressant ! Et puis, nous ne sommes plus à l’époque de Germinal. Aujourd’hui l’industrie, c’est très techno, très moderne. Du coup, je pense qu’on ne travaille pas assez la marque employeur « Industrie », au sens large du terme. Et c’est un véritable sujet, parce que si vous avez peu de femmes à l’entrée, vous en avez forcément moins qui montent dans la hiérarchie.

Ensuite, je pense que le « plafond de verre » y est encore pour quelque chose. Trop de femmes n’osent pas, pensant que ce n’est pas pour elles. Je trouve que c’est dommage… Il faudrait vraiment qu’on les pousse à oser. Et puis parfois, il arrive aussi que l’équilibre vie pro-vie perso ne soit pas là. Pour ça aussi, il y a beaucoup de femmes qui se freinent. Elles n’osent pas imaginer une organisation différente des postes stratégiques. Du coup, elles ne veulent pas avoir à faire des choix trop radicaux, en matière d’équilibre de vie privée. Il faut dire aussi que certaines entreprises, encore aujourd’hui, ne facilitent pas ces choix. Voire ne les permettent pas du tout.

Donc une des solutions seraient peut-être de déconstruire le code du travail, tel que nous le connaissons ?

À mon sens, ce n’est pas déconnant que d’avoir des fonctions de dirigeantes, ou de cheffe de service, ou de direction à 80% ou en temps partiel. C’est le cas chez nous (sourire) ! Pour moi, ce n’est pas la valeur temps qui fait la qualité du travail. Il faut s’enlever cette barrière mentale à tout prix. Je pense qu’une entreprise peut comprendre ça et peut s’adapter à ses salariés. Par ailleurs, je pense que si les femmes avaient plus de rôles modèles en entreprise, à des postes stratégiques, elles oseraient plus. Il faut donc trouver des solutions.

5- Si vous aviez un conseil à donner à toutes ces femmes, quel serait-il ?

D’oser ! : pour moi le sujet, c’est une question d’audace. C’est une question de confiance en soi. On sait aujourd’hui, que les hommes ont plus d’audace à négocier pour eux-mêmes, alors que les femmes négocient pour le groupe. Donc oui, si j’avais quelque chose à leur dire, ce serait d’oser (sourire) ! Oser demander, oser se lancer, oser sortir du cadre, oser aller vers des métiers d’homme… Je suis persuadée d’ailleurs, qu’il y a peu de postes auxquels les femmes ne pourraient pas prétendre. Avant tout, les premières limites sont les croyances limitantes que nous avons de notre éducation, dans nos modèles et nos référentiels.

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