Dafna Mouchenik est la fondatrice de Logivitae. Une entreprise d’aide à domicile, qu’elle a créée il y a maintenant 13 ans. Auteure de deux livres dont « Derrière vos portes » et Première ligne », Dafna est aussi une cheffe d’entreprise engagée et militante qui tente de faire évoluer le statut des aides à domiciles. Un métier encore aujourd’hui, trop peu valorisé. Témoignage.
1- Dafna tu es la fondatrice de Logivitae, une entreprise d’aides à domicile. Pourquoi t’être lancée dans le secteur médico-social ?
J’ai toujours travaillé dans le domaine social, à vrai dire. C’est quelque chose qui me porte depuis toujours : la femme de mon papa était assistante sociale à la protection judiciaire de la jeunesse ; mon grand-père paternel a monté un centre pour jeunes handicapés à Marseille, dans les années 50 ; ma maman a toujours été très engagée dans différentes associations. Donc oui, le social a toujours été une évidence pour moi ! (sourire)
Ce qui l’était moins, c’était de travailler pour les personnes âgées. En 2005, je savais que je voulais devenir entrepreneure sociale. Mais dans quoi ? C’est mon cousin qui m’a soufflé l’idée de travailler auprès des personnes âgées. On a donc monté une entreprise ensemble. Puis j’ai eu très vite envie de monter seule, un service dédié aux plus fragiles, parfois en situation précaire.
Et c’est un projet qui m’anime tous les jours ! Depuis 13 ans maintenant (sourire) Avec Logivitae, je voulais permettre à toutes personnes âgées de choisir son lieu de vie : chez elles ou en maison de retraite. Car c’est un constat que j’ai fait, lorsque j’ai effectué mon stage en Ehpad, à mes 17 ans : les résidents n’y étaient pas forcément par choix. J’ai donc voulu remédier à cette problématique. Je pars du principe que nous devrions tous avoir le choix. Et c’est le sens de mon travail aujourd’hui. Quand je le fais, j’essaie autant que faire se peut, d’être dans le choix des personnes.
2- Ton engagement avec ta structure est assez fort. Quelles sont les difficultés que tu as pu rencontrer à l’époque, quand tu as démarré ?
Ma première difficulté a été de vouloir faire de Logivitae, une entreprise qui permet à des gens dans des situations compliquées, voire précaires, de pouvoir rester chez eux. Donc forcement, ça été difficile à mettre en place. Les intentions que l’on affichait étaient bonnes, mais on a vite été rattrapé par la réalité.
Un autre point qui m’a vraiment pénalisé : la création de Logivitae sous le statut juridique SARL. Être une SARL, dans la représentation collective, cela veut forcément dire « faire de l’argent ». C’était un point qu’il fallait vite solutionner. Ça été un gros coup dur pour moi ! Ça été très compliqué de faire changer le regard des gens sur l’entreprise. C’est là que la communication à jouer son rôle ! : les gens ont pu comprendre nos services et constater notre engagement. Ce qui nous a permis de devenir plus tard, une Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale. D’un point de vue pratique, nous n’avions pas besoin de cet agrément mais je trouvais que c’était une belle reconnaissance de nos valeurs.
3- Mais avec tout ça, n’as-tu pas eu l’impression d’être dans une bataille perpétuelle ?
Oui, c’est vrai ! (sourire) Parfois je me dis que je me complique la vie ! (rires) Ce qui est très paradoxal, c’est que je suis travailleur social et militante depuis toujours, pour autant, je n’ai jamais aidé autant de monde que depuis la création de cette entreprise et que je suis patronne ! Ce qui est très antinomique dans la représentativité sociale.
Justement, est-ce que tu penses que le rôle de cheffe d’entreprise a évolué ? Est-ce qu’aujourd’hui être cheffe d’entreprise, ce n’est pas non plus se battre pour les autres ?
Je crois que oui ! J’en suis même persuadée ! (sourire) Quand je dis que je n’ai jamais autant aidé de gens, c’est surtout parce que en tant qu’employeur, je ne me satisfais pas des conditions de travail et de rémunération de notre métier, qu’impose notre mode de financement par les pouvoirs publics. Et puis, je me suis rendu compte que les auxiliaires de vie avaient peu de pouvoir et étaient dévalorisés. Je ne pouvais donc pas être travailleur social pour les uns et ne pas faire au mieux pour celles et ceux qui font vivre l’entreprise !
D’ailleurs le paradoxe, c’est que je me suis souvent retrouvée à être porte-parole de mes salariés. (sourire) Au point de me retrouver dans des situations très étonnantes ! (rires) Des situations qui m’ont vraiment touchée et qui en même temps, m’ont permis de me questionner sur ma posture de cheffe d’entreprise. Mais là encore, je n’arrive pas à être dans une case. C’est sûr qu’au quotidien, ça pourrait être plus simple ! Mais je suis persuadée qu’en étant dans une case, on vit de moins belles choses (sourire)
C’est ce qui m’a poussé d’ailleurs, à rejoindre le MOUVES dont le modèle de société me plaît beaucoup : c’est un projet où les intérêts des salariés et des employeurs peuvent et doivent se rejoindre. D’ailleurs, je suis moi-même devenue présidente d’une fédération employeurs dans le secteur de l’aide à domicile. Je trouve cela complètement indispensable pour faire évoluer le secteur. Les employeurs ont intérêt à faire avancer les droits de leurs salariés. Après, il est vrai que je suis dans un secteur qui part de tellement loin… Il y a vraiment beaucoup de choses à faire évoluer.
4- Est-ce que tu penses que c’est ça ton futur combat ? Revaloriser le statut des aides à domicile ?
Honnêtement cette cause-là, elle m’anime depuis que j’ai créé Logivitae. Elle est au cœur de mon entreprise. Dès que j’ai pu proposer des temps pleins et des CDI, je l’ai fait. Je pense que ça va de pair avec la cause des personnes accompagnées. On ne peut pas dire haut et fort que l’on veut aider les personnes âgées à domicile, dans des situations difficiles, si on n’a pas en premier lieu, le souci des conditions de travail des aidants professionnels.
Alors au sein de mon entreprise, j’ai trouvé des astuces : des bricolages qui me permettent de payer des heures supplémentaires – ce qui ne règle pas le problème des bas salaires pour autant ! – ; une gestion en lucrativité maîtrisée . Ainsi lorsque l’on fait du résultat, il est distribué aux salariés les plus méritants ; et puis nous communiquons sur les actions des salariés du secteur. Pour moi, c’est de cette manière que l’on incarne la profession ! En faisant témoigner celles et ceux qui sont sur le terrain. C’est d’ailleurs ce que j’ai fait, à travers mes deux livres.
5- Par rapport à la crise de la Covid-19, tu penses qu’il y a eu une prise de conscience collective sur votre métier ?
Je crois que si les gens et les professionnels de manière générale, ne s’impliquent pas dans une volonté de faire changer les choses et d’améliorer la société, il ne se passera rien. Attendre que cela se passe, n’amène à rien. La preuve en est !
Avec la crise, j’ai cru que les services d’aide à domicile allaient enfin être reconnus pour ce qu’ils sont : des acteurs indispensables à la cohésion sociale et à la solidarité nationale. Finalement, nous n’avions même pas le droit à la prime Covid ! Ça été d’une violence inouïe pour les professionnels que nous sommes ! C’est à ce moment-là que mon équipe m’a demandé de lui décrocher la prime. J’étais alors investie d’une mission et j’étais fière qu’elle me fasse confiance ! (sourire) Mais en réalité seule, je ne pouvais rien obtenir. Ça été un vrai travail collectif. Ensemble, nous voulons et pouvons faire changer les conditions de ce métier. Ça met encore plus de sens dans mon métier de cheffe d’entreprise (sourire).
6- Si tu devais donner un conseil à des entrepreneures qui, comme toi, aimeraient se lancer dans le secteur du médico-social, quel serait-il ?
De rester authentique : il ne faut pas perdre sa sincérité. Aujourd’hui, monter un service d’aides à domicile est plus compliqué qu’il y a 13 ans. Les embûches seront plus importantes que celles que j’ai rencontrées. Mais je suis persuadée que pour faire la différence, la sincérité est primordiale. Il faut accompagner au mieux les gens. Le faire de façon respectueuse, que ce soit vis-à-vis des équipes ou des personnes que l’on accompagne. Je pense vraiment que la sincérité est la clé de réussite.