La période des fêtes met le secteur du transport en tension. Ce dernier souffre d’un manque de main-d’œuvre. Pour tenter de toucher un plus large public, les entreprises du Grand Est veulent féminiser la profession et susciter la vocation de transporteures. Un challenge qui se heurte aux stéréotypes.
« Ma tante était transporteure. Il n’était pas rare de la voir arriver aux repas de Noël dans son semi-remorque rempli de marchandises. Avec leur entreprise, elle et son mari faisaient le tour des fêtes foraines pour réapprovisionner les stands en peluches et autres lots » (explique Océane, Ndlr). Il faut dire que pour les transporteurs, la période de fin d’année est parmi les plus chargées. La demande a explosé avec la crise sanitaire et le développement du e-commerce, entre 2020 et 2021. Une aubaine pour ces derniers qui voient leur chiffre d’affaires doubler, voire tripler.
Dans le Grand Est, ils sont 9 102 établissements dédiés aux transports. 2 995, rien que pour les marchandises. Ce secteur génère à lui tout seul 4% du PIB régional et assure 126 000 emplois (soit 7% de l’emploi salarié régional). Générateur de richesse, il reste néanmoins aujourd’hui essentiellement masculin.
Transporteurs… mais où sont les femmes ?
Comme de nombreux domaines historiquement masculins, les femmes sont encore sous-représentées dans le secteur des transports professionnels et de la logistique, dans le Grand Est. Il faut dire que lorsque l’on pense au chauffeur routier standard, les clichés sont tenaces. On aura plus facilement l’image de Gérard, 40 ans, de gros muscles et une barbe, que de Sylvie, jeune trentenaire et pourtant transporteure passionnée.
Et quand on pose la question, l’avis général est de dire que c’est un métier d’homme. Des clichés qui pèsent sur ce secteur où les femmes ne représentent que 18% des transporteurs dans le Grand Est, en moyenne. Par ailleurs, quand on y regarde de plus près, la proportion de femmes varie du simple au double en fonction du domaine. Dans tout ce qui est transport sanitaire ou de voyageur, elles frôlent les 40% des effectifs alors même que le transport de marchandises n’en compte que 9%. Enfin pour ce qu’il s’agit de conduire les poids lourds, la part tombe à 2%.
Des transporteures face aux clichés
« Femme au volant… », nous n’avons pas besoin de finir cette phrase pour savoir ce qu’il en retourne… C’est l’un des nombreux stéréotypes qui pèsent sur le secteur du transport et de la logistique. Une profession perçut comme machiste qui dissuade les candidates potentielles, par peur d’être discriminées à l’embauche.
Pourtant pour les transporteures déjà dans la profession : “Ce qui compte c’est l’amour de la conduite, l’intérêt pour les véhicules mastodontes et la liberté”, comme le dit Carole. Elle est conductrice de semi-remorque depuis maintenant cinq ans. Pour elle, les femmes ont tout autant leur place dans ces secteurs. “Je conduis un semi-remorque et je livre dans tout le Grand Est. Je n’ai jamais eu de problème pour faire mon métier. J’aime ce que je fais, c’est tout ce qui compte”.
Une valeur partagée par Brigite Kempf qui fait partie des rares femmes cheffes d’entreprise, dans le milieu. “J’avais 23 ans quand j’ai repris l’entreprise familiale. Au début, ça n’a pas été simple. Il a fallu que je gagne la confiance de mes équipes pour me faire respecter. Mais aujourd’hui, c’est chose faite”.
Le transport sort le grand jeu !
Le machisme n’est pas le seul cliché qui rebute les femmes. Pour nombre d’entre elles, travailler comme transporteures, c’est avoir des horaires irréguliers. Il faut dire que les dames, encore aujourd’hui majoritairement assignées aux tâches domestiques, ont davantage de difficultés à trouver un équilibre de vie professionnelle et de vie de famille. Elles visent donc davantage les postes qui leur assurent le maximum de flexibilité.
De plus, elles sont nombreuses à penser que le transport de marchandises n’est pas compatible. Serait-ce là, encore des clichés ? “Aujourd’hui tout fonctionne en relais. Oui, il y a une trentaine d’années, les transporteurs pouvaient partir longtemps. Aujourd’hui, tout le monde rentre le soir à la maison. Sauf si vous faites le choix de travailler de nuit”, explique Thomas Huguen, représentant de l’AFT Grand Est.
Il faut dire que pour tenter d’attirer de nouveaux profils, notamment féminins, la profession tente depuis quelques années d’axer son développement sur une meilleure régularité des horaires. Aujourd’hui, 28% des salariés sont concernés par ces aménagements d’emploi du temps. Mais ce n’est pas le seul atout que le secteur tente de mettre en avant.
D’ailleurs cette phrase intrigue mais, les chiffres parlent pour elle. Dans le secteur du transport fret, alors que le salaire médian est de 29896 euros par an soit 2299 euros par mois, les femmes gagnent légèrement plus que les hommes. Bien sûr quand on y regarde de plus près, la raison est plus proche d’une réalité sociétale que d’une surprise inattendue. Les femmes sont simplement sous-représentées dans la catégorie des métiers “ouvriers”, qui sont en majorité moins rémunérateurs.
Grand Est, entre lacune et promotion dans le transport ?
Alors pour tenter d’inverser la tendance, les réseaux de transporteur multiplient les actions. Parce qu’au-delà de l’égalité pure et dure, la mixité est aussi un enjeu économique. Face à l’explosion du e-commerce, le secteur fait face à une augmentation de ses besoins en main-d’œuvre. “On a fait les prévisions, en 2022, on aura besoin de 3000 postes pour répondre aux besoins des entreprises” confirme Catherine Ledoux, Déléguée Grand Est de l’Association pour le développement de la formation professionnelle Transport et Logistique (AFT). En 2017, la délégation a mis en place un programme pour sensibiliser les entreprises avec notamment, la création de l’Itinéraire égalité. Un projet mis en place avec le soutien du Fonds social européen et de la Commission paritaire nationale emploi et formation professionnelle.
Le but ici, attirer un public plus féminin. “Si avant, il fallait une certaine force pour conduire les camions ou décharger les marchandises, aujourd’hui la technologie et les nouveaux véhicules aident beaucoup. Les femmes sont donc tout aussi aptes que les hommes à faire ce métier”, explique Catherine Ledoux.
Être une femme transporteure, c’est désormais un atout. “Elles prennent davantage soin des véhicules, apaisent les transporteurs et les clients” pour Catherine Ledoux. Encore faut-il réussir à passer outre les préjugés. Dans ce cas, il est toujours possible d’intégrer des communautés d’entraide comme les “Queens of the roads”. Un bon moyen d’obtenir du soutien pour prendre le volant en toute confiance et de montrer que les femmes peuvent aussi être transporteures.
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