Experte en data et intelligence artificielle, Marjory Canonne incarne une vision engagée et responsable de l’innovation. Ingénieure et entrepreneure, elle met la technologie au service de l’humain, de la diversité et de la nature. À travers son entreprise Spinalia et son offre originale Seqovia, elle invite les entreprises à sortir du cadre pour mieux penser l’IA : en pleine nature, dans les Vosges. Rencontre avec une pionnière qui conjugue stratégie, éthique et grand air.
1- Vous avez choisi de développer votre entreprise Spinalia, dans le domaine de l’intelligence artificielle, ici dans les Vosges. Qu’est-ce qui vous a donné envie d’entreprendre sur ce territoire plutôt qu’ailleurs ?
C’est d’abord un choix familial. Nous sommes arrivés en famille dans le Grand Est, à Metz, suite à une mutation liée à mon parcours dans la gendarmerie. Nous avons rapidement apprécié le territoire, et je me suis installée à Épinal en septembre. J’aurais pu continuer à travailler en télétravail pour de grands comptes au niveau national, mais j’ai ressenti le besoin de m’engager localement. D’où la création de Spinalia.
Il y a ici de belles PME, ETI et industries qui ont besoin d’expertise en intelligence artificielle. C’est un vrai choix d’agir sur le territoire. J’interviens aussi bien sur l’accompagnement opérationnel que sur des diagnostics ou audits en IA. En parallèle, je mène des actions d’acculturation auprès de publics variés : entreprises, associations, lycéens.
2- Vous évoluez dans un secteur à la fois très technique, en plein essor, et encore largement masculin. Comment vivez-vous votre place de femme entrepreneure dans cet écosystème ?
Mon métier est très masculin. J’ai d’ailleurs travaillé dans plusieurs domaines encore genrés : militaire, ingénieure, scientifique et informatique. Je n’ai pas ressenti tout de suite de difficultés, mais j’ai manqué de rôles modèles (sourire). C’est ce qui m’a poussée à m’engager. Je suis marraine de l’association Elles bougent, pour promouvoir les sciences et l’intelligence artificielle auprès des jeunes, en particulier des lycéennes. Trop souvent, elles pensent encore que le numérique est un “métier de garçon”.
J’ai aussi été fière d’avoir dirigé un Datalab à la gendarmerie il y a 6-7 ans, avec une équipe presque paritaire – non pas par discrimination, bien sûr. J’étais visible et présente sur les forums, les femmes s’y retrouvaient davantage.
Ressentez-vous une dynamique particulière dans les Vosges pour encourager les femmes à innover ?
Oui, dans les Vosges, je vois de plus en plus de femmes qui entreprennent. Je l’entends aussi partout autour de moi ; des réseaux se créent et c’est en rendant visibles ces parcours qu’on donne envie à d’autres de se lancer et d’innover.
3- L’intelligence artificielle est souvent associée aux grandes métropoles ou aux hubs technologiques. Quel rôle le territoires comme les Vosges peut-il jouer dans cette révolution numérique ?
C’est justement pour cela que j’ai choisi d’entreprendre ici, au cœur des Vosges et plus largement, en Lorraine. Je viens d’un milieu parisien, mon réseau est très francilien. Les dynamiques sont donc nombreuses. Mais j’ai découvert ici des acteurs très intéressants (sourire).
En arrivant à Metz, il y a trois ans, j’ai mis du temps à identifier les projets et les structures locales. J’ai donc lancé une newsletter sur LinkedIn, Le Sillon de l’IA, pour mettre en lumière les acteurs et les initiatives du territoire. Le défi régional, selon moi, est de créer encore plus de synergies au sein des régions. Les initiatives sont nombreuses, mais encore trop dispersées.
4- Dans votre quotidien d’entrepreneure, en quoi le territoire vosgien vous inspire-t-il ?
L’IA est souvent perçue comme très technologique, rapide, et très urbaine. De mon côté, j’ai une approche pragmatique. À la gendarmerie, je travaillais sur des solutions concrètes, utiles sur le terrain. Aujourd’hui, j’accompagne les entreprises avec la même logique : apporter de la valeur.
Je pense qu’un cadre naturel comme celui des Vosges est idéal pour prendre du recul. L’IA soulève des enjeux éthiques et environnementaux importants. Il faut parfois ralentir, réfléchir, et redonner du sens. Avec mon partenaire Shantha, nous avons créé Seqovia, une offre de séminaires clés en main destinée aux décideurs au niveau national. L’objectif : alterner temps de réflexion et activités en pleine nature. Tout en sensibilisant à un usage plus responsable, plus conscient de ces technologies.
La marque “Je vois la vie en Vosges” m’aide beaucoup en ce sens d’ailleurs. En plus de m’apporter de la visibilité sur le territoire, elle me permet de rencontrer différents acteurs de l’entrepreneuriat. Au-delà de sa renommée, c’est une vraie fierté. J’ai envie d’avoir un impact sur le territoire, l’innovation soutenue par la marque est ma plus grande force.
5- Si vous deviez résumer en une phrase ce que signifie pour vous « entreprendre dans les Vosges« , que diriez-vous ?
Entreprendre dans les Vosges, c’est conjuguer innovation et ancrage naturel. C’est créer, innover, tout en restant proche de l’environnement et des réalités du territoire. On associe souvent l’entrepreneuriat à un rythme rapide, urbain, “speed”. Ici, on peut casser cette image. On peut mener des projets ambitieux tout en profitant d’un cadre plus calme, plus humain. Cela crée un équilibre. Si je devais résumer, je dirais que c’est une manière de concilier innovation et nature, ambition et simplicité. On n’a pas à choisir entre l’un ou l’autre. On peut entreprendre autrement, en phase avec son environnement (sourire).