“Les filles osez les sciences!”. C’est le slogan de l’exposition proposé par l’Université de Lorraine, du 21 février au 4 mars. Un nom évocateur qui expose une réalité : les femmes manquent à l’appel quand on parle de sciences dures. Physiciennes, chimistes, ingénieures… des chercheuses du Grand Est tentent aujourd’hui, d’inverser la tendance.
Silvia Lasala est chercheuse et maître de conférence à l’Université de Lorraine. Elle vient d’obtenir une bourse de 1,5M€ par l’ERC Starting Grant, pour son projet REACHER. “Je travaille sur les fluides innovants pour rendre l’exploitation des énergies thermiques plus efficientes et écologiques”. Une possible révolution à l’origine d’une des rares bourses de cette ampleur, obtenue par une chercheuse dans le Grand Est.
Nadia Bahlouli, elle, est professeure en mécanique à l’Université de Strasbourg. Directrice de recherche d’une équipe de 28 personnes, elle travaille sur un moyen de rendre les gilets pare-balles plus léger. C’est l’un de ses nombreux projets de sciences et de prédilection, liés à la santé et à l’environnement.
Comme elles, les femmes scientifiques ne manquent pas dans le Grand Est. Tout dépend néanmoins, de quel côté on regarde ! “Il y a 30% de femmes scientifiques hors médecine. Du côté de la physique et la chimie, les statistiques tombent à 25%, voire 5% dans les mathématiques” confirme Véronique Pierron-Bohnes, représentante Grand Est de Femmes & Sciences. Si elles sont davantage a prendre le chemin de la recherche public, d’autres tentent tant bien que mal de se frayer un chemin en entrepreneuriat.
De l’Université à l’entrepreneuriat, même combat
Victoria Demange est enseignante et ingénieure en biotechnologie à Épinal. En 2019, elle lance AbsoluBois avec un concept de revêtement en béton et bois. Seulement voilà, travailler seule ce n’est pas toujours simple “Parfois, c’est difficile avec les clients ou les fournisseurs quand je leur dis que c’est moi qui suis cheffe de l’entreprise. Je dois user de beaucoup de pédagogie mais ça fini toujours par passer. Je pense que je vais finir par prendre un associé parce que seule, c’est parfois lourd à porter”.
Rose-Marie Auclair, elle, est biologiste. En 2019, elle a co-créé Woodlight, avec son mari, généticien de formation. “En tant que thésarde, je n’ai pas vu de differences avec les étudiants garçons. Pour la partie entrepreneuriat, c’est différent. Pour faciliter la prise de décision, on a décidé de mettre Ghislain en partenaire majoritaire, comme c’est lui qui a eu l’idée de la boite. L’avocate nous a dit que c’était mieux parce que si c’était moi, ça serait moins bien vu, comme je suis une femme. Ça m’a choqué”. Une discrimination qui pénalise aujourd’hui les entreprises tenues par des femmes dans les domaines scientifiques.
Pour autant être une femme peut aussi avoir ses avantages surtout dans le Grand Est. Pour Rose-Marie Auclair, c’est le fait de marquer les esprits ”Comme il y a peu de femmes scientifiques qui montent des entreprises, beaucoup de gens sont impressionnés”. Pour Isoare, étudiante Ingénieure en système ferroviaire à Strasbourg, c’est avant tout une question d’équilibre “Je trouve que j’ai une valeur à ajouter. Il y a certains points ou problèmes auxquels mes collègues masculins ne pensent pas et, moi, je vais leur apporter. On est complémentaire et au final c’est bénéfique pour tous le monde: On est deux femmes seulement dans le bureau d’étude où je suis alternante et c’est dommage”.
Les discriminations, enjeux de la féminisation de la science
On le sait, les discrimination peuvent être nombreuses quand on est une femme qui évoluent dans un milieu à domination masculine. Sexisme, freins à l’embauche, les difficultés sont nombreuses comme y a été confronté Véronique Pierron-Bohnes, représentante Grand Est de Femmes & Sciences. “La fondatrice de l’association, Claudine Hermann, professeure à Polytechnique, et moi-même faisions partie d’un conseil de sélection du CNRS. Lors du choix des candidats, on avait remarqué que nos collègues masculins éliminaient instinctivement tous les profils féminins”. Autre problématique au niveau de l’égalité salariale ““À l’Université et toute la fonction publique, il y a moins d’écart puisqu’on fonctionne sous forme de grilles hors prime de recherche. Mais dans le privé, la différence peut aller jusqu’à 30% en moins pour les femmes”” continue-t’elle. Une différence qui s’accentue lorsque qu’elles deviennent mère.
La maternité est d’ailleurs l’un des premier frein aux carrières scientifiques des femmes. “Quand j’ai eu mon premier, j’ai dû arrêté pendant un temps surtout parce que je n’étais pas vraiment aidé dans mon entourage. C’est le plus gros problème parce qu’après pour redémarrer, c’est plus dur” confie Nadia Bahlouli, chercheuse et professeur en mécanique à Strasbourg . Les femmes accorderait donc moins de temps à la recherche, faute de dispositif suffisant pour les accompagner. Un constat qui revient dans le secteur public comme dans le privé. Pour tenter de lutter contre cette problématiques, les Universités ont fait un premier pas. Comme à Bordeaux ou à Caen, où les campus proposent désormais des crèches au sein de leurs structures. Des freins qui jouent sur l’attrait des femmes pour les sciences dures mais pas seulement.
Femmes scientifiques, des figures cachées?
Marie-Anne Lavoisier, Marguerite Perey, Kathia Krafft, ces noms ne vous disent peut-être rien. Il faut dire que les noms des femmes physiciennes, chimistes ou ingénieures, sont rarement cités en exemple dans les livres d’histoires. Un manque de modèles féminin qui jouerait sur l’envie des filles de tenter les carrières scientifiques “Au passage du baccalauréat, si les jeunes fillent ne s’identifient pas à ce type de métier, elles vont avoir plus de mal à s’y orienter”. Une hypothèse validée par Chloé et Isoare, toutes les deux ingénieures en génie civile et systèmes ferroviaires “Dans notre classe, on est 3 sur 25 étudiants. Pourtant quand on était en S, on étaient presque la moitié de filles mais elles ont presque toutes choisi médecine” explique Chloé.
La raison ? Les filles se sentiraient globalement moins aptes à poursuivre des études en sciences dures. Elles sont 28% à placer les sciences dans la catégorie des « études difficiles », quand 25% des garçons les placeraient dans la catégorie « utiles avant difficiles ». C’est en tout cas, ce qui ressort de l’étude menée par l’Association Femmes & Sciences et le Ministère de l’Égalité auprès de 250 jeunes. Un manque d’intérêt donc, favorisé par une discrimination latente.
Les chiffres sont là. Les sciences avec les femmes constitueraient un vivier de 300 000 chercheurs supplémentaires. « Et ça, le monde en a besoin », indiquait M.Guterres, chef de l’ONU en début 2021. « Si l’on ne féminise pas davantage les sciences, le monde continuera d’être façonné par et pour les hommes et le potentiel des filles et des femmes restera inexploité». Les mots sont là, encore faut-il traiter le problème à la source.
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