Anne-Marie Jean est la nouvelle Présidente du Port Autonome de Strasbourg. Après une carrière riche et la prise de plusieurs postes stratégiques dans le domaine de l’écologie, du social ou du numérique, c’est tout naturellement qu’Anne-Marie se lance le défi de l’industrie fluviale. Pour elle, les femmes doivent se faire confiance car elles sont capables de beaucoup. Témoignage.
1- Anne-Marie, vous avez pris la direction du port de Strasbourg, comment se prépare-t-on à affronter cette responsabilité ? Est-ce qu’il y a un secret ou une méthode ?
C’est la première fois que je suis Présidente du Port de Strasbourg donc, je ne vais pas prétendre avoir un secret ou une méthode (rires) ! Par contre, ce n’est pas la première fois que je préside une instance. Cela fait bientôt 20 ans que j’exerce des présidences d’association, dans différents domaines professionnels et privés. J’ai une certaine habitude maintenant. Je n’ai pas d’appréhension particulière. J’aborde cette nouvelle responsabilité avec beaucoup de sérieux et d’humilité : avec de l’ambition, de l’enthousiasme, avec l’envie de travailler avec des professionnels de qualité, sur des enjeux qui sont extrêmement importants pour la ville, la métropole et plus largement, pour le territoire régional.
Le Port de Strasbourg est le 2e port fluvial de France, avec des outils logistiques extrêmement importants pour le territoire. Particulièrement pour notre métropole qui porte un projet de transition écologique fort. Notamment, sur les questions de nos moyens de transport et le transport de marchandises. Le port, donc, est un vrai outil de services. Il doit contribuer à la politique que nous portons.
L’industrie fluviale est encore un domaine très masculin, comment gérez-vous votre arrivée dans ce secteur ?
Pour moi, cela n’a pas été une question ! D’ailleurs je dois dire qu’à mon premier conseil d’administration, ce n’est pas du tout le ressenti que j’ai eu dans la salle. Pour moi, il n’est pas un vécu et c’est très bien (sourire) ! Je ne connais pas encore le nombre de femmes et d’hommes dans l’ensemble des équipes. Les métiers logistiques et industriels sont encore en majorité des métiers masculins même si, la parité progresse.
Néanmoins tout ce qui pourra être fait du côté des politiques de la ville et de la métropole pour favoriser la diversité, nous devrons le pousser. Nous travaillons actuellement sur les critères de l’achat public à la métropole, nous souhaitons y inclure des critères liés à l’égalité salariale femmes-hommes, à la représentation effective des femmes dans les conseils d’administration de nos fournisseurs etc. Et je rappelle qu’au sein du port, les deux filiales que sont Batorama et RET sont sous la direction de femmes ! Donc finalement, l’industrie fluviale n’est pas si masculine (sourire) !
2- Diriger est quelque chose que vous maîtrisez, quels ont été vos moteurs ?
Je crois que mon principal moteur, c’est de me sentir utile (sourire) ! Du coup, tout au long de mon parcours professionnel et associatif, cela m’a amenée à la prise de responsabilités. Je n’ai jamais été dans une logique de conquête du pouvoir ou de titres mais simplement dans une logique d’utilité : en montant d’un cran dans les responsabilités, en faisant en sorte que l’action dans laquelle je m’inscrivais ait un impact plus grand, dû au poste que j’occupais. C’est quelque chose qui m’a guidée dans mon parcours ! Et qui m’a menée vers des fonctions liées à l’engagement sociétal, l’ESS, la cohésion territoriale, la lutte contre la fracture numérique…
Des sujets porteurs de sens sur lesquels j’ai pu travailler, et qui m’ont motivée et donné envie d’aller plus loin ! C’est aussi ce qui m’a donné envie de m’engager dans l’aventure politique qui n’était pas, à la base, un plan de carrière. J’ai ainsi aujourd’hui, d’autres rênes en mains pour faire bouger les lignes (sourire).
3- À votre avis, pourquoi les femmes sont sous représentées dans les directions ?
Il y a beaucoup d’historique. Néanmoins, cela est en train de progresser. La Poste par exemple, où je travaille depuis plus de 20 ans, a aujourd’hui plus de la moitié de son encadrement et du tiers de ses dirigeants qui sont des femmes. Il y a là, un très net progrès (sourire) ! On le voit bien aujourd’hui, dans les hautes strates.
Après, le plafond de verre est difficile à briser. Il est lié à deux choses selon moi : la première, au fait qu’un certain nombre de dirigeants ont l’habitude de s’entourer de gens qui leur ressemblent, qui ont les mêmes comportements professionnels qu’eux. Généralement, ils ne veulent pas prendre de risques, sauf sur des métiers fléchés féminins comme les RH, la Communication… Il y a encore beaucoup de stéréotypes de ce côté-là et de réticence ; la seconde, les freins que se mettent les femmes qui pensent ne pas être capables d’assumer. Sur cette problématique, je pense qu’il faut impérativement chercher à déconstruire ces idées reçues. Toute prise de responsabilité inclut une prise de risque. Personne ne peut prétendre être sûr d’y arriver ! Mais souvent, les femmes ont plus de scrupules, elles préfèrent ne pas postuler si elles ne sont pas 100% sûres de maîtriser, là où les hommes se disent que « ça ira ». À mon sens, il ne faudrait pas se brider à cause de l’idée de la prise de risque et de la possibilité d’un échec… Malheureusement dans notre culture, la notion de rebond est plus cultivée et plus admise pour les hommes que pour les femmes. Il faut que l’on travaille tous ensemble là-dessus ! Collectivement !
4- Que faudrait-il faire pour changer les choses ?
S’il y avait eu une baguette magique, je pense que nous l’aurions déjà activée (rires) ! Ceci dit, toutes les politiques de RSE en entreprise ont vraiment un impact positif.
Déjà, il y a les leviers des lois sur la composition des conseils d’administration. Même si je ne suis pas une fan des quotas, force est de constater que s’il n’y en a pas, cela ne bouge pas. Donc c’est une bonne chose ! Le fait d’avoir à publier un bilan social avec des données concernant l’égalité salariale, la proportion de femmes et d’hommes aux différentes strates, ça oblige à se poser des questions et à justifier les choses. Tout ce qui est de l’ordre de la transparence de l’information contribue à faire progresser les choses.
Enfin, je pense qu’il faut développer un discours général, à l’école et dans la pédagogie, sur le fait que les femmes et les hommes ont autant les uns que les autres leur place dans la vie économique et dans les responsabilités. Nous avons besoin d’une société mixte. Et ça, ça ne devrait même pas être un sujet.
5- Si vous aviez un conseil à donner aux femmes, quel serait-il ?
De se faire confiance : on ne peut pas demander à notre interlocuteur de nous faire confiance, si nous-même, nous ne nous faisons pas confiance. Vraiment, le conseil serait d’avoir confiance en elles ! De ne pas voir seulement les choses perfectibles. Il y en a forcément mais, ça ne doit pas submerger le reste qui sont les atouts que l’on a toutes en nous. Il faut y croire (sourire) !