Qui peut parler, de quoi, et avec quelles conséquences ? En 2025, la parole sur le travail est au cœur des débats. Lors de la semaine pour la Qualité de Vie et des Conditions de Travail, l’Anact a mis en lumière ce thème central : parler du travail, et non seulement parler au travail. L’objectif ? Faire du dialogue un levier d’action. Mais derrière cette ambition, une réalité plus contrastée. La liberté de parole suffit-elle à améliorer les conditions de travail ? Ou cette liberté n’est-elle parfois qu’une illusion dans le monde professionnel ?
À première vue, les chiffres de la consultation 2025 de l’Anact pour la QVCT semblent rassurants. 67 % des actifs disent pouvoir parler facilement de leur travail. Mais qu’entend-on vraiment par-là ? S’agit-il d’un vrai espace d’expression ou d’une tolérance tacite tant qu’on ne dérange pas l’ordre établi ?
Dès que l’on touche à des sujets plus sensibles comme l’organisation ou la stratégie, la liberté se rétracte. 43 % seulement des salariés osent aborder les orientations de leur entreprise. La parole semble autorisée à condition qu’elle reste “propre”, fonctionnelle, sans remettre en cause les équilibres.
Peut-on parler librement si la parole n’est pas suivie d’effets ? Ou si les rapports de pouvoir empêchent certains de s’exprimer ?
Des dialogues qui s’installent… sans toujours transformer
Les espaces de discussion se multiplient : groupes d’expression, réunions participatives, baromètres internes. L’intention est là. Pourtant, 41 % des salariés disent ne jamais parler de l’organisation de leur travail. Et 46 % de ceux qui se taisent évoquent une raison précise : les discussions passées n’ont mené à rien. Alors, à quoi bon parler si tout reste figé ?
Pour certains, la parole devient suspecte : elle donne l’illusion d’être écouté, sans offrir de réelles marges de manœuvre. Le management, souvent désigné comme clé de voûte du dialogue, est lui-même en tension : peu formé, peu à l’aise, parfois isolé. Le dialogue existe, oui, mais dans quelles conditions ? Et surtout, avec quelles perspectives de changement ?
Des perceptions qui s’éloignent, des silences qui persistent
Autre point de friction : le décalage entre managers et salariés. Les premiers pensent créer les conditions d’un échange, les seconds peinent à s’y retrouver. À force de malentendus, le dialogue s’abîme.
Certaines voix se font plus rares que d’autres : 56 % des salariés parlent rarement ou jamais de sujets stratégiques, toujours selon l’étude 2025 de l’Anact. Et que dire des plus jeunes, des intérimaires, de celles et ceux qui n’osent pas prendre la parole en réunion ? Le risque n’est-il pas que cette “liberté de parole” bénéficie surtout à ceux qui l’ont déjà, les plus à l’aise, les mieux positionnés ? Si parler du travail devient un privilège, que reste-t-il de l’idée même de dialogue ?
Dialogue et santé mentale : un enjeu humain avant tout
Le dialogue et la sécurité psychologique sont facteurs de nombreux bénéfices pour les entreprises. Selon le rapport établi par ZipDo en mai dernier, la sécurité psychologique est associée à une augmentation de 25% de la productivité des équipes. De même qu’elles sont 50% plus susceptibles d’innover efficacement dans un climat de dialogue, parole libérée et sécurité.
Mais au-delà des indicateurs de performance, c’est la santé mentale des salariés qui est directement en jeu. Se sentir écouté, reconnu, avoir la possibilité d’exprimer un désaccord ou une difficulté sans craindre de représailles participe activement au bien-être psychologique. À l’inverse, le silence imposé, la peur du jugement ou de la sanction, l’absence de réponse après une prise de parole nourrissent le stress chronique, le sentiment d’isolement, voire le désengagement. Quand la parole est bridée, les tensions s’accumulent, les frustrations se cristallisent et les souffrances restent invisibles jusqu’à parfois exploser en burn-out, en arrêts maladie ou en démissions silencieuses.
La parole est un levier de performance et de bien-être. Mais dans les faits, peut-elle suffire là où l’organisation, le pouvoir d’agir ou la reconnaissance manquent ? Peut-être faut-il d’abord reconnaître les zones grises et les écarts de perception. Puis accepter que le dialogue ne soit pas une fin en soi, mais un processus fragile, jamais acquis, toujours à construire. Alors, plus que jamais, une question reste ouverte : sommes-nous prêts à entendre ce que les salariés ont à dire sur leur travail et à en tirer les conséquences ?