Avec la relance économique, les chantiers ont repris de plus belle dans le Grand Est. Une bonne nouvelle pour les entreprises du BTP qui font aujourd’hui face à une autre problématique, la pénurie de main-d’œuvre. Et contre toute attente, ce sont aujourd’hui les ouvrières BTP qui pourraient bien tirer leur épingle du jeu.
“Allez, c’est partie, on décharge”. Les chantiers commencent toujours de la même manière pour Amélie. “Il faut descendre le carrelage du camion, le mettre sur le chantier, c’est assez physique. On travaille beaucoup sur les genoux”. En 2014, la jeune femme obtient son CAP Carrelage, après un bac pro en comptabilité. À 27 ans, elle est aujourd’hui son propre patron.
Du côté de l’Alsace, on retrouve Tressy. Elle qui a vécu un temps de sa passion pour le football, elle a aujourd’hui choisi de devenir peintre dans le bâtiment. “À la base, je voulais entrer à l’armée mais, ma mère ne voulait pas. Au foot, des amis qui m’ont parlé du métier de peintre. J’ai fait un stage et ça m’a vraiment plu. Alors mon patron m’a proposé de me prendre en alternance”. À 26 ans, elle est aujourd’hui maître d’apprentissage dans l’entreprise dans laquelle elle travaille depuis deux ans. Et elle ne compte pas s’arrêter là ! “J’aimerais gagner encore quelques années d’expérience et un jour, ouvrir ma propre entreprise”.
Des profils comme ceux de Tressy ou d’Amélie se font rare. Il faut dire que sur les 116 920 actifs qui exercent un métier d’ouvrier du bâtiment dans la région, seuls 12% sont des femmes. Et là encore, elles occupent majoritairement des postes administratifs : seuls 1,6% des ouvriers sont des ouvrières. Il faut dire que jusqu’à maintenant, le métier était majoritairement pratiqué par des hommes. Et dans ce métier millénaire, les clichés ont la vie dure.
Le Sexisme, un mal qui ronge le bâtiment ?
“Les femmes n’ont rien à faire sur les chantiers !”. Cette phrase un peu désuète, Julie en a fait les frais le mois dernier. Elle démarchait des entreprises pour trouver un poste. En effet, celle qui vient de terminer son CAP de carreleuse en juin dernier, a toutes les peines du monde à trouver un employeur. “Pourtant, j’ai toujours eu de bons retours de mes formateurs et de mes stages”.
La raison principale ? Son genre. Tressy en a d’ailleurs fait les frais et elle l’affirme : “Au début, ils essayaient. Ils voyaient une jeune fille mais il suffit d’avoir une bonne répartie et un bon caractère. Ça fait l’affaire dans le bâtiment”.
Si elles ont toutes eu quelques difficultés pour faire reconnaître et accepter leur capacité, les mentalités commencent doucement à évoluer. Pour Virginie, être une femme pourrait même être un avantage. “Les femmes sont plus minutieuses apparemment. Du coup, ça se passe plutôt bien avec mes clients”.
Alors pour tenter d’attirer plus de femmes, les actions se multiplient. Si l’envie de féminiser les métiers à consonance masculine est dans l’air du temps, pour le bâtiment, c’est surtout une question d’enjeu.
Attirer les femmes, une nécessité pour le BTP du Grand Est
Le constat est clair, les métiers du bâtiment sont vieillissants. Il suffit de regarder du côté des effectifs. Les plus de 50 ans représentent plus de 27% des ouvriers du bâtiment, quand les moins de 30 ans sont seulement de 18%. Un métier qui tente tant bien que mal d’attirer davantage les jeunes. ”Depuis les années 2000, le secteur a pris la décision de rémunéré les apprentis de 15 à 20% de plus par rapport à d’autres secteurs” explique Aleksandra Kukla, Responsable du service Compétence Emploi Formation au sein de la FFBatiment de Moselle.
Si le secteur souffrait déjà régulièrement d’un manque de main-d’œuvre en 2021, la pénurie a atteint un stade critique. 2 artisans sur 3 auraient refusé des chantiers, faute de main-d’œuvre. “On a mis des annonces parce qu’il nous manque un peintre. Mais on n’arrive pas à trouver” désespère Jean-Luc, patron d’une petite entreprise familiale alsacienne.
Attirer les femmes semble aujourd’hui, un bon compromis pour faire face aux pénuries. Alors pour mettre toutes les chances de leur côté, les entreprises et les syndicats ont commencé par rendre le matériel plus léger et maniable. “On a du matériel plus léger, on a mécaniser nos métiers, utiliser des engins de levage, etc” insiste Aleksandra Kukla.
Malheureusement, malgré plusieurs plans d’action et une volonté affichée de féminiser la profession, la part des femmes n’a que peu augmenté dans le secteur dans la Grande Région. “On a quand même de l’espoir puisqu’on constate que dans les formations, la part des jeunes femmes augmente. Comme au CFA de Montigny-les-Metz où 40 femmes se dirigent vers la menuiserie”. Et si la solution se trouvait dans l’entrepreneuriat ?
Entreprendre un tremplin pour les ouvrières du BTP?
Dans le bâtiment, les femmes seraient particulièrement attirées par l’entrepreneuriat. Alors qu’elles ne représentent que 12% des salariés, elles sont deux fois plus nombreuses à se mettre à leur compte.
Amélie a lancé son entreprise de carrelage en 2018. « J’ai été pas mal déçue dans mes anciennes boîtes. J’ai eu 3 patrons différents. À chaque fois, ça ne passait pas. Surtout quand on travaille dans le monde du bâtiment qui est un milieu masculin. On sent qu’il y a toujours une différence de traitement ». Virginie, elle, voulait son autonomie. Elle s’est lancée comme entrepreneure en 2009. Après 9 ans comme indépendante individuelle, elle a décidé en 2018 de rejoindre une coopérative. “C’est surtout à cause de la paperasse. La comptabilité c’est vraiment pas mon truc. Au moins avec la coopérative, j’ai juste à m’occuper de mes clients et à faire des factures”.
Dans le milieu du bâtiment, tout se fait par le bouche-à-oreille. Alors quand on vient de commencer son activité, le réseautage est essentiel. « J’ai une amie qui est déjà à son compte comme peintre. C’est elle qui m’a motivé et qui m’a fait connaître son réseau pro. Une fois que je me suis fait connaître et qu’ils ont vu mon travail, c’est devenu plus simple. Après, c’est devenu du bouche-à-oreille » explique Amélie.
Les études prouvent aujourd’hui, que la présence des femmes favoriserait la modernisation du métier. Et si leur place n’est pas gagnée, elles sont bien décidées à montrer qu’elles aussi, elles font de bonnes ouvrières du BTP.