190 millions d’euros, c’est le montant des levées de fonds des startups dans le Grand Est, rien qu’en 2021. Un braquage inédit, après ces deux années Covid. Pourtant, encore aujourd’hui, ce sont les hommes qui se taillent la part du lion. Pourquoi ?
L’espoir avait commencé à naitre dans le Grand Est. Les femmes entreprenaient massivement depuis 2018, boostées par les aides mises en place par la Région. Une seule ombre noircissait le tableau : la French Tech East ne comptait que 10% de startuppeuses, alors même qu’elles sont 24% à l’échelle nationale. D’ailleurs quand on regarde le dernier baromètre du collectif Sista et du Boston Consulting Group, on comprend mieux pourquoi. Les levées de fonds, étape indispensable pour les startups, n’ont bénéficié qu’à 12% de femmes à l’échelle nationale. Et seulement à 7% pour la Grande Région.
Pourtant, on recensait bien quelques belles courses aux financements, comme celle de Defymed qui réussissait en 2020 une troisième levée de fonds de près de 2 Millions d’euros pour son projet de dispositif d’injection d’insuline. Pour autant, les startuppeuses ne cours pas les investissements.
Moins de startuppeuses, donc moins de levées de fonds ?
« CQFD ! », direz-vous. Sur 520 startups dans le Grand Est, seules 52 sont dirigées par des femmes. Pas la peine d’aller plus loin pour comprendre que statistiquement parlant, la normalité veut qu’il y ait moins de financement de start-ups féminines. “On cherche régulièrement à promouvoir des femmes mais la réalité, c’est qu’il y en a très peu”, confirme Alice Gilbert, Coordinatrice de Start Up à l’accélérateur Scal’Enov.
Elles sont également moins nombreuses à y faire appel : seules 7 % lèvent des fonds pour lancer ou développer leur solution. Et là encore, plus le montant est important, moins il y a de femmes fondatrices financées. Dans la Grande Région, le plafond maximum des levées de fonds portées par des femmes ne dépassait pas 40 Millions d’euros en 2021. Attention ici, nous ne parlons que des équipes mixtes. Pour les équipes exclusivement féminines, les montants tournent davantage autour du palier médian à 2,8M. La question demeure donc, pourquoi ?
L’innovation du Grand Est connait son « Gender Gap »
Boris Ravignon, Vice-Président en charge de l’économie et des entreprises dans le Grand Est le rappelait avec ferveur : “On ne fait pas de différence entre les projets menés par des hommes et ceux menés par des femmes. Et si différence il y a, il est souvent au bénéfice des startuppeuses”. Des inégalité qui ont moins d’emprise sur les fonds publiques. Dans le privé, par contre, c’est une autre affaire. Encore aujourd’hui, l’écart moyen entre les levées de fonds des femmes et des hommes est de 2,3 points.
Pourtant les investisseurs sont formels, ils n’appliquent pas de différence de traitement… Du moins, pas consciemment. C’est ce qu’on appelle le Gender Gap. Un biais cognitif qui favorise l’inégalité des genres, induit par la société. Il se traduit ici, par le fait que les investisseurs auront davantage tendance à penser que le leadership varie d’un homme à une femme ou qu’une femme sera moins encline à gouverner avec panache.
“La probabilité de financement diminue de 18% quand le Pitch est réalisé par une femme avec une voix douce ou une attitude physique en retrait“
Nicolas Jacquemet dans son étude “Don’t Pitch like a girl“ paru en 2019.
Un manque de charisme donc, à l’origine de plusieurs fausses croyances sur les startuppeuses : elles prendraient moins de risques, elles auraient moins confiance en elles et donc, auraient des bénéfices moindres. Un biais cognitif, rappelons-le, influencé par la place accordée aux femmes en société. Une évolution tout de même est à mettre en avant pour Laura Lehmann, Présidente de l’Incubateur Semia « Si les chiffres nationaux affichent encore une nette différence, en Alsace, on a pas ressenti de différenciation notable cette année. C’est positif « .
Le sexe des investisseurs, change-t-il la donne ?
“J’ai déjà entendu dire que les deux principaux freins quand ont fait une levée de fonds, c’est d’être jeune et d’être une femme”
Jean Massou, étudiant-entrepreneur de Nancy, fondateur de la Start-Up Br’Eyes.
Vous connaissez l’expression “Chacun voit midi à sa porte” ? Sans partir dans le cliché, cette phrase pourrait vous mettre sur la voix. Encore aujourd’hui, plus de 50% des fonds d’investissement se composent uniquement d’hommes, blanc, de plus de 45 ans, principalement issus du monde de la finance ou de l’ingénierie. La majorité d’entre-eux ont fait leurs études dans des grandes écoles et proviennent de milieux sociaux favorables.
Ne reste alors, qu’une part de 10% de femmes Business Angels. Un pourcentage qui diminue à 5% chez les Partners d’investissement. Quant aux minorités visibles, leurs difficultés d’accession aux grandes écoles rendent d’autant plus difficile leur entrée dans le monde de l’investissement.
Un constat à nuancer tout de même puisque l’on observe une prise de conscience chez les investisseurs. Des octobre 2019, 56 fonds d’investissements s’engageaient à atteindre la parité, en termes d’investissement, sous l’impulsion du collectif Sista. Pour Boris Ravignon, Vice-Président en charge de l’économie et des entreprises dans le Grand Est : “Il y a un changement de paradigme. Aujourd’hui, on ne regarde plus seulement la rentabilité. On regarde aussi, la manière dont l’entreprise organise sa gouvernance, s’ils ont plus de femmes et/ou la manière dont ils protègent l’environnement”.
La parité, bénéfice nette des levées de fonds du Grand Est
Les chiffres ne trompent pas. 84% des équipes masculines ont bénéficié des levées de fonds, contre seulement 3% des équipes féminines. Et ce, même si l’on observe une petite progression dans le cas des équipes mixtes. D’ailleurs, observons que quand les conseils d’investissement se composent d’une ou de plusieurs femmes, le nombre de financement de projets portés par des femmes augmentent proportionnellement. C’est là la conclusion de l’étude menée par Deloitte, Elles de France Invest et Club Invest, publiée en 2019.
Autre avantage, les femmes auraient tendance à investir des montants 30% plus importants que les hommes et sur une durée 4 fois plus longue. Autre fait notable, leurs investissements rapportent en moyenne entre 1% et 1,8% de plus. C’est en tout cas ce qui ressort de l’étude menée par l’Université de Warwick en Angleterre. Le problème ? Elle restent moins nombreuses à investir (23% contre 37% pour les hommes).
A défaut d’être jugées par leurs paires, elles ont naturellement tendance à s’auto-censurer. Une problématique engendrée par le manque de modèles féminins dans ce domaine. “C’est pour ça que j’ai créé mon entreprise. Pour aider les femmes à se jeter à l’eau et à investir”, explique Julie Denis, entrepreneure dans l’investissement immobilier pour les entrepreneures.
Pour que les levées de fonds jouent en faveur des femmes, il est toujours possible de faire valoir l’intérêt économique. La rentabilité opérationnelle des entreprises dirigées par des femmes tourne autour de 8%, quand elle est de 5,3% pour les entreprises dirigées par des hommes. A méditer !
3 conseils d’experts pour des levées de fonds réussies !
- Boris Ravignon “ Une levée de fonds dans le publique aide toujours pour débloquer une levée de fonds privé. C’est un bon levier pour convaincre des investisseurs. La Région Grand Est fait partie d’une dizaine de fonds et on vient d’en ouvrir 3 en 2021“.
- Julie Denis “Le mieux c’est de choisir un fond qui soit pro-entrepreneures et qui vous connaisse“
- Alice Gilbert “Sélectionner des fonds d’investissement ayant déjà des figures féminines à leur bord ou se tourner vers des fonds tenus par des femmes“